Depuis quelques années, on parle beaucoup d’intelligence émotionnelle. Or sait-on vraiment de quoi il s’agit ? Pourtant, elle est indispensable au travail, tout comme son corollaire, l’empathie.
D’abord élaboré par les chercheurs en psychologie Peter Salovey et John Mayer en 1990, le concept d’intelligence émotionnelle a été développé et popularisé par Daniel Goleman en 1995. On pourrait le définir comme la capacité à s’adapter aux circonstances en tenant compte de ses émotions et de celles d’autrui. Car pour être en mesure de prendre des décisions, on doit pouvoir ressentir des émotions. «Sans émotion, on ne sait pas comment penser ni comment s’adapter, disait le Dr Antonio Damasio [un spécialiste de la neurologie comportementale]. Si on veut aider des personnes à prendre de bonnes décisions, il faut nécessairement les aider à reconnaître et à comprendre ce qu’elles ressentent», explique Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.
Quant à l’empathie, il s’agit d’une compétence émotionnelle qui permet de comprendre les émotions ressenties par son interlocuteur et d’adopter sa perspective en mettant la sienne entre parenthèses. L’intelligence émotionnelle et l’empathie qu’elle suppose sont des conditions qui favorisent la santé et le bien-être au travail.
Indispensables au travail
Quelqu’un qui est doté de bonnes habiletés émotionnelles a plus de facilité à s’adapter aux changements et à maintenir un bon équilibre, tant sur le plan personnel que du point de vue professionnel. Comme le souligne Marie-Claude Gaudet, CRHA, professeure adjointe au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, des recherches ont démontré que l’intelligence émotionnelle est associée à une plus grande efficacité des gestionnaires et à une meilleure performance de leur côté, notamment.
Plus précisément, l’empathie est une compétence émotionnelle essentielle au travail en équipe, car elle permet de comprendre la diversité des points de vue sur une situation donnée et de trouver une position commune. Elle est nécessaire pour gérer les tensions avant que celles-ci dégénèrent en conflits, ce qui contribue à développer la cohésion de l’équipe et à renforcer la solidarité entre les collaborateurs. «Ainsi, si un cadre souhaite que les membres de son équipe travaillent tous dans le même sens, il doit être capable de comprendre leurs intérêts pour que la direction qu’il donnera à leur travail ait un sens pour eux et les incite à la suivre», illustre Estelle Morin. L’empathie permet donc d’établir de bonnes relations avec autrui, de gérer les situations de tension et de rétablir l’harmonie en nommant les sujets difficiles et sensibles.
Pour sa part, Pierre Lainey, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal, constate aussi que les émotions peuvent être contagieuses et se propager d’un employé à un autre. D’où l’importance, pour le gestionnaire, de bien cerner ce que vit son équipe afin de la soutenir et de l’accompagner le mieux possible.
La force de l’exemple
Concrètement, comment un gestionnaire peut-il favoriser l’émergence de l’intelligence émotionnelle et de l’empathie au sein de ses équipes? Tout d’abord en donnant l’exemple et en travaillant sur lui-même. «Ne sous-estimons pas l’incidence que peut avoir une personne qui occupe une position d’autorité, car cela stimule – le plus souvent à notre insu – l’identification à ses comportements, c’est-à-dire la tendance à les intérioriser et à les reproduire», note Estelle Morin.
La professeure a également observé que l’exercice de cette compétence suppose pour une personne une capacité d’introspection et de réflexion sur elle-même, ses pensées et ses sentiments en vue de les maîtriser, surtout en présence de quelqu’un qui ne lui apparaît pas sympathique, parce que les émotions négatives ont pour effet de désactiver chez l’humain les neurones qui le rendent sensible aux états affectifs d’autrui. Le manque d’empathie serait d’ailleurs le symptôme flagrant d’une absence d’introspection. «On devrait apprendre à se mettre à la place des autres et à lire le non-verbal», recommande Marie-Claude Gaudet. Cette dernière conseille aussi aux gens de s’exercer à identifier non seulement les situations qui se révèlent inconfortables sur le plan émotionnel de leur côté, mais aussi ce qui constitue pour eux ou pour autrui des déclencheurs émotionnels. Estelle Morin va dans la même direction en leur proposant d’examiner les situations qui ont déclenché de la surprise, de la frustration ou de la déception chez eux, car ils en tireront de précieux renseignements sur eux-mêmes.
Il existe plusieurs méthodes pour mieux percevoir et nommer ses émotions, comme l’outil interactif The Atlas of Emotions. Néanmoins, les formations ciblées visant à développer l’intelligence émotionnelle demeurent les plus efficaces pour améliorer ses propres capacités ainsi que celles de ses équipes.
En revanche, mettre de l’avant cette compétence dans son parcours professionnel et la faire valoir aux yeux des employeurs potentiels n’est pas chose aisée, comme le fait remarquer Estelle Morin. Pourquoi? Parce que la conséquence directe de l’intelligence émotionnelle est l’humilité. Puisque le travailleur ne peut la mettre en évidence lui-même, dans ce cas-là, il lui faut demander à des gens de son entourage de le faire à sa place, par le biais de lettres de recommandation, notamment. «Il peut demander aux personnes qui le recommandent de mettre par écrit leur rétroaction sur sa façon d’être dans telle ou telle situation, sur la manière dont il gère les conflits, sur sa capacité à saisir les émotions d’autrui et à établir des relations…», conclut Estelle Morin. En d’autres mots : un avis externe aidera l’employé à se montrer sous son meilleur jour.